70 ans après l'appel historique de l'Abbé Pierre, l'équipe Ader E&P visite la Cité de Refuge par Le Corbusier et Pierre Jeanneret


La Cité de Refuge par Le Corbusier et Pierre Jeanneret (1933) : une œuvre au service de l'humanité 

En avance sur son temps, la contribution architecturale de Le Corbusier et de Pierre Jeanneret à l'élaboration de la Cité de Refuge pour l'Armée du Salut, construction majeure du XXème siècle inscrite dans un projet social, montre avec brio la force de l'architecture dans la lutte contre la pauvreté et le sans-abrisme.  



La Cité de Refuge incarne une vision globale de l'architecture, "une utopie dans un immeuble", alliant recherches esthétiques et vocation solidaire. Dépassant l'avant-gardisme architectural, Le Corbusier et Pierre Jeanneret replacent l'humain au coeur de l'acte de construire, plaçant l'accès au Beau comme élément à part entière du projet de réinsertion. 



Située dans le 13ème arrondissement de Paris, la Cité de Refuge a bénéficié d’importants travaux de restauration entre 2011 et 2016, redonnant à l’oeuvre de Le Corbusier et de Pierre Jeanneret toute sa cohérence et lisibilité. Oeuvre centrale dans le domaine des bâtiments à vocation sociale, la Cité de Refuge est commandée par Albin Peyron, commandant de l’Armée du Salut française.




Extérieur de la Cité de Refuge 




Financée grâce au soutien de Winnaretta Singer, princesse de Polignac, cette cité est le premier bâtiment de grande envergure réalisé par l’architecte dans la capitale. Le Corbusier avait déjà collaboré avec l’Armée du Salut pour le Palais du Peuple en 1926 et l’Asile Flottant en 1929, sur demande d’Albin Peyron et avec le soutien de la princesse de Polignac. Emblématique de ses recherches concernant l’architecture sur pilotis, l’utilisation du béton et l’ornement réduit aux couleurs primaires, l’édifice est inauguré en 1933. Le bâtiment est classé monument historique depuis 1975. 




Escaliers de la Cité de Refuge 


Portant depuis plus de 85 ans un projet social d’accompagnement des personnes en difficulté ou en situation de sans-abrisme, la Cité de Refuge est avant tout un lieu de vie, accueillant et hébergeant tant les familles que les personnes seules, pour les aider dans leur réinsertion.

La cité dispose de 300 places d'hébergement, rénovées pour répondre aux besoins actuels des résidents. Les travaux remplacent notamment les dortoirs collectifs en studios individuels ou pour couples, et permettent la construction de logements accessibles aux personnes à mobilité réduite et aux familles avec enfants. Enfin, la Cité des Dames, ayant une capacité d’accueil de 50 personnes, est créée en 2018. Elle combine un accueil de jour et de nuit, proposant aux dames accueillies de rencontrer des travailleurs sociaux et du personnel de santé, et leur permettant de bénéficier des prestations de base (prendre une douche, se reposer, laver son linge, boire une café). 

Acceuil de la Cité de Refuge 


L’organisation met également en place des aides à la réinsertion sociale et professionnelle avec 34 postes dans la manutention, l’événementiel ou encore la couture. L’atelier couture utilise par exemple le principe de l’upcycling pour créer des pièces destinées à être ensuite vendues en boutique, offrant ainsi un poste aux résidents de la Cité de Refuge en fonction de leurs disponibilités et compétences. 

La Cité de Refuge, convaincue que la culture est un vecteur de réinsertion sociale, remet aujourd’hui l’édifice de Le Corbusier au service de ses habitants. Formés par des architectes, les résidents assurent des visites guidées et organisent de nombreux évènements culturels. Cet édifice a eu un impact durable sur l'approche du logement social, démontrant que l'architecture peut être un instrument puissant au service de la justice sociale.



Ashraf, résident de la Cité de Refuge devant ses créations 


« Mes amis, au secours, une femme vient de mourir gelée cette nuit. » 




Ce jeudi 1er février 2024 marque le 70e anniversaire de l'appel de l'Abbé Pierre, diffusé à la radio Luxembourg le 1er février 1954. Cri de détresse et appel à la solidarité contre le mal-logement, ces mots ont résonné à travers le monde entier, et éveillé les consciences avec ce que l'on appellera plus tard « une insurrection de la bonté ». Dans le contexte de l'après-guerre, l'appel de l'Abbé Pierre permettra de nombreux dons et engagements bénévoles, ainsi que des actions du gouvernement, qui instaura 2 ans plus tard le droit au logement et la trêve hivernale des expulsions locatives. Dans un contexte de crise du logement et de hausse du sans-abrisme en France, avec 330 000 sans-abris selon le rapport « l’Etat du Mal-Logement en France » de la fondation Abbé Pierre en 2023, ces problématiques sont plus que jamais d'actualité. 




L'Abbé Pierre lors de son Appel à la solidarité à la Radio Luxembourg, le 1er février 1954

La maison démontable "Les Jours Meilleurs" de Jean Prouvé : un abri digne pour les plus démunis


En 1956, Le Corbusier parlait de la maison démontable "Les Jours Meilleurs" conçue par Jean Prouvé pour l'Abbé Pierre : « Jean Prouvé a élevé sur le quai Alexandre-III la plus belle maison que je connaisse : le plus parfait moyen d'habitation, la plus étincelante chose construite. Et tout cela en vrai, bâti, réalisé, conclusion d'une vie de recherches. Et c'est l'abbé Pierre qui l'a lui a commandé ! » 




Exemple remarquable d'architecture humanitaire, la collaboration de l'abbé Pierre avec Jean Prouvé pour la réalisation de la maison démontable "Les Jours Meilleurs" souligne le rôle crucial du design et de l'architecture dans la réalisation des idéaux de l'Abbé Pierre. Dans le sillage de l'appel de 1954, Jean Prouvé a mis son savoir-faire au service de solutions concrètes aux besoins urgents de logements dans la France d'après-guerre. 



Galerie Patrick Seguin 
Maison des jours meilleurs, 1956 (reconstitution)
Jean Prouvé 
Paris, 25 mai - 19 juil., 2012 




La particularité de cette maison réside dans sa modularité exceptionnelle. Composée d'éléments préfabriqués en métal léger, la structure de la maison démontable permettait un montage rapide et une déconstruction tout aussi efficace. Cette flexibilité permettait de répondre aux besoins changeants de la population sans sacrifier ni le confort, ni la qualité architecturale. Les lignes épurées et la simplicité des formes démontrent un souci du détail et une compréhension profonde des besoins humains par Jean Prouvé. 


Galerie Patrick Seguin 
Maison des jours meilleurs, 1956 (reconstitution)
Jean Prouvé 
Paris, 25 mai - 19 juil., 2012 



Bien que la maison démontable des "Jours Meilleurs" ait été initialement conçue comme une solution temporaire, son impact perdure dans le temps. Elle symbolise l'esprit d'innovation au service de la communauté et demeure un exemple éloquent de la capacité de l'architecture à combiner la fonctionnalité et l'utilité sociale avec une esthétique épurée. 


Un héritage qui perdure 

La Cité de Refuge et les constructions de Jean Prouvé restent des témoins concrets de la nécessité de combattre l'injustice sociale à travers l'architecture. Ces œuvres continuent de fournir un toit, une dignité et un espoir à ceux qui en ont besoin, rappelant que la solidarité et la créativité peuvent transformer la vie des plus vulnérables.

En célébrant ces réalisations remarquables, nous honorons les esprits visionnaires de l'Abbé Pierre et des architectes Le Corbusier et Jean Prouvé.